Texte de présentation destiné à accompagner l’exposition Émergence, dessins de Mathilde Le Cabellec, galerie Insula, Paris, 09.03 – 08.04.2023

La dernière série de Mathilde Le Cabellec est née en 2020 d’un désir de nature. Confinée dans un environnement minéral, l’artiste laisse alors venir à elle ce qui lui manque. Les tiges, les feuilles de différentes espèces (toutes bien réelles) commencent à croître irrésistiblement sur le papier, à l’envahir, à l’occuper jusqu’à en repousser les bords. Dessinés en plan rapproché, les végétaux, dans un premier temps, se présentent avec un fort degré de précision et de détails, au-delà de ce que le souvenir permet normalement. Il est vrai que l’artiste a l’habitude de puiser dans sa mémoire : ses précédents dessins procèdent selon une déambulation intérieure, au gré de laquelle surgissent des massifs de plantes qui s’accolent les uns aux autres dans une sorte de condensé chronologique. Dans cette nouvelle série, au contraire, les tiges grimpent et s’épanouissent dans un continuum temporel : celui du défilement de la mémoire. 

Parce que le souvenir n’est jamais figé, parce que les images, peu à peu, s’éloignent de notre conscience, alors l’artiste, après la première phase de représentation minutieuse, efface l’objet même de son dessin. Elle floute systématiquement tiges, feuilles, excroissances jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que le négatif fantomatique, sur le fond de graphite modelé d’ombres plus ou moins denses. Il en résulte un effet comparable à celui des cyanotypes, comme si la lumière avait directement imprimé sur le support le souvenir des feuillages. 

À ces oblitérations qui suivent les contours du végétal, s’ajoutent d’autres marques d’érosion qui affectent la surface. Souvent, l’effacement suit un mouvement vertical dont les traces, tels des restes de buée sur une vitre, amorcent une altération de l’image. Parfois, une ligne horizontale fait vibrer la représentation tel un écran lumineux prêt de s’éteindre. Ailleurs, une large plage blanche mord sur le dessin dont elle annonce une possible disparition.

Paradoxalement, en ne laissant que la silhouette de la plante, l’effacement rend celle-ci plus éblouissante, comme ces taches lumineuses qui s’accrochent à notre rétine. Est-ce bien à un phénomène de disparition que nous assistons ? Ne serait-ce pas plutôt que notre regard serait incapable de soutenir la vivacité du souvenir ? C’est de cet aveuglement soudain et nécessaire qu’émerge la possibilité d’un renouveau. 

Émergence, graphite sur papier ©Mathilde Le Cabellec & galerie Insula
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